
Par arrêté municipal N°114/MCOT/SG/SGA/SA en date du 28 Octobre 2O2O,le maire de la ville de Cotonou Luc Atrokpo interdisait tout rassemblement et toutes manifestations à caractère festif, revendicatif et politique jusqu’à nouvel ordre sur son territoire. Cette décision passe mal auprès de trois juristes qui demandent à la cour constitutionnelle de déclarer contraire à la constitution ledit arrêté.
Retrouvez ci-dessous l’intégralité de leur recours
Abomey-Calavi, le 30 0ctobre 2020
Miguèle HOUETO
Landry Angelo ADELAKOUN
Romaric Jésukpégo ZINSOU
EMAIL : Zinsouromaric27@gmail.com
BP :06 BP 1618
TEL : +229 67069810
A
Monsieur le Président de la Cour Constitutionnelle du Bénin
COTONOU
0bjet : Recours en inconstitutionnalité contre l’arrêté N°114/MCOT/SG/SGA/SA du 28 Octobre 2O2O du maire de la commune de Cotonou
Monsieur le Président,
Nous venons, en vertu des dispositions des articles 3 et 122 de la constitution béninoise du 11 décembre 1990, solliciter auprès de votre autorité, l’inconstitutionnalité de l’arrêté municipal N°114/MCOT/SG/SGA/SA en date du 28 Octobre 2O2O.
• Des Faits
Par arrêté municipal N°114/MCOT/SG/SGA/SA en date du 28 Octobre 2O2O, le maire de la commune de Cotonou interdit tout rassemblement et toutes manifestations à caractère festif, revendicatif et politique jusqu’à nouvel ordre. Les Adjoints au Maire, Chefs d’Arrondissements, les Commissaires d’Arrondissement et le Directeur de la Police Municipale, sont chargés de l’application stricte de cet arrêté signé par monsieur le maire Luc S. ATROKPO.
• Des Moyens
Monsieur le Président de la Cour Constitutionnelle, mesdames et messieurs les membres de la Cour, dans le préambule de la loi N° 2019-40 du 07 Novembre 2019 portant révision de la loi N° 90-32 du 11 décembre 1990 portant constitution de la République du Bénin, le peuple béninois a affirmé sa détermination de créer un Etat de droit dans lequel les droits fondamentaux sont garantis. Il y a par ailleurs, réaffirmé son attachement aux principes de la démocratie et des droits de l’Homme tels qu’ils ont été définis par la Charte des Nations Unies de 1945, la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples dont les dispositions font partie intégrante de la Constitution béninoise. Mieux, l’article 147 de la même constitution dispose: « Les traités et accords internationaux régulièrement ratifiés ont dès leurs publications une autorité supérieure à celle des lois ».
En l’espèce Monsieur le président, il sied de rappeler que le Bénin, Etat partie à la charte Africaine des Droits de l’Homme, s’est engagé à respecter les normes édictées par cet instrument régional. En effet, son article 1er dispose : « les Etats membres de l’Organisation de l’Unité Africaine, parties à la présente Charte, reconnaissent les droits, devoirs et libertés énoncés dans cette Charte et s’engagent à adopter des mesures législatives ou autres pour les appliquer ». En outre, l’article 11 de cette Charte ainsi que l’article 21 du Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques, consacrent la reconnaissance du droit de réunion pacifique. Son exercice ne peut faire l’objet de restrictions que dans les cas imposées conformément à la loi. L’article 20 alinéa1 de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 dispose : « Toute personne a droit à la liberté de réunion et d’association pacifiques ».
Pour la haute juridiction, dans sa DCC 00-003 du 20 janvier 2000, « ces principes constitutionnels ont pour but de garantir à l’individu la jouissance des libertés fondamentales et de le protéger contre tout arbitraire »
Sur le sujet, la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, à travers sa Communication 140/94, 141/41 et 145/45 Constitutional Rights Project, Civil liberties Organisation et Media Rights Agenda C / Nigeria du 31 Octobre 1998, affirme que : « les raisons de limitation possibles doivent se fonder sur un intérêt public légitime et les inconvénients de la limitation doivent être strictement proportionnels et absolument nécessaires pour les avantages à obtenir. Ce qui est important, une limitation ne doit jamais entraîner comme conséquence le fait de rendre le droit lui-même illusoire »
Cette position de la Commission et celle de la Cour constitutionnelle du Bénin se croisent en ce sens qu’il est de jurisprudence constante que l’autorité administrative ne peut restreindre l’espace de libertés, mais plutôt agir pour rendre plus effectives, ces libertés qui sont des caractéristiques fondamentales de tout Etat de droit et de démocratie. La décision Pierre BADET rendue par la Cour constitutionnelle béninoise le 21 août 2003 est retentissante et confirme la place de la liberté de manifestation dans notre société. La cour par cette décision consacre l’autonomie de la liberté de manifestation par rapport aux autres libertés.
Monsieur le Président, la jurisprudence de la Cour constitutionnelle sur les libertés fondamentales est toujours constante. C’est ainsi qu’en 2017 dans sa décision portant sur la suspension des associations estudiantines, la Haute Juridiction a dit et jugé que « le pouvoir réglementaire ne peut interdire l’exercice d’une liberté fondamentale. Il ne peut agir que pour la rendre effective ». Cette position sera rappelée dans sa décision DCC 18-117 du 22 mai 2018 et récemment dans sa décision DCC 20-536 du 16 juillet 2020 dans sa décision DCC 20-536 à travers laquel la Cour a déclaré anticonstitutionnel le communiqué radio de la Mairie de Parakou, en date du 25 février 2019, portant interdiction des manifestations publiques à caractère revendicatif et invité l’autorité à prendre des mesures pour l’encadrement des manifestations. A travers cette abondante jurisprudence, la cour constitutionnelle dans son rôle de gardienne des libertés fondamentales rappelle aux citoyens et institutions de l’Etat l’abécédaire selon lequel « dans un Etat de droit, la liberté est la règle, la restriction de police, l’exception »
Malheureusement, ce travail colossal de la Haute Juridiction depuis 1993 au service du droit, des droits de l’Homme et de la République semble être mal apprécié par le maire de la commune de Cotonou pour qui la restriction semble être le principe et la liberté, l’exception. Ceci se vérifie par le fait qu’à peine 24h après la sortie de l’arrêté querellé, le maire dans une sorte de rétropédalage a autorisé et encadré une marche des femmes à Cotonou. C’est la preuve que l’encadrement des manifestations est bel et bien possible. L’on est tenté de conclure que désormais l’exercice et la jouissance des libertés de réunion et de manifestation à Cotonou dépendent de l’humeur du maire.
Et pourtant la Résolution 21/16 du Conseil des droits de l’homme de l’ONU (2012) rappelle que : « Les Etats ont l’obligation de respecter et de protéger pleinement le droit de tous les individus de se réunir pacifiquement et de s’associer librement, à la fois en ligne et hors ligne, notamment à l’occasion des élections, y compris les personnes qui professent des opinions ou des croyances minoritaires ou dissidentes, les défenseurs des droits de l’homme, les syndicalistes et tous ceux, notamment les migrants, qui cherchent à exercer ou à promouvoir ce droit, ainsi que leur obligation de faire en sorte que les restrictions éventuellement imposées au libre exercice du droit de réunion pacifique et de la liberté d’association soient conformes aux obligations qui leur incombent en vertu du droit international des droits de l’homme. Le respect du droit de réunion pacifique et de la liberté d’association, à l’égard de la société civile, contribue à relever ou résoudre les défis et questions qui sont importants pour la société, tels que l’environnement, le développement durable, la lutte contre la criminalité, la traite des êtres humains, l’émancipation des femmes, la justice sociale, la protection des consommateurs et la réalisation de tous les droits de l’homme. »
Le comble, c’est que pour le maire de Cotonou, il faut tout interdire « jusqu’à nouvel ordre ». Cet arrêté est révélateur de l’inexacte compréhension qu’a le maire des questions de libertés. Il est le signe d’une volonté manifeste d’étouffer les voix dissidentes. A quand la fin du « nouvel ordre » ? Que fait le maire de l’encadrement des marches ? Que craint-il pour oser vouloir barrer la route aux libertés dans la commune de Cotonou ? Pourquoi sommes-devenus subitement hostiles aux libertés fondamentales ? En quoi les manifestations doivent-elles poser problème ? Si chaque maire doit se lever et tout interdire jusqu’à nouvel ordre, il ne nous restera qu’à réviser notre constitution afin de constitutionnaliser les velléités dictatoriales dont les signes avant-coureurs sont entre autres cet arrêté. Heureusement que nous n’y sommes pas encore et que la Haute Juridiction continue de veiller sur la République. Le Bénin mérite vraiment mieux.
• De la demande
Au vu de ce qui précède, qu’il plaise à la cour de :
– déclarer recevable la présente requête et la déclarer bien-fondée.
– déclarer contraire à la constitution l’arrêté municipal N°114/MCOT/SG/SGA/SA en date du 28 Octobre 2O2O.
Ont signé
Miguèle HOUETO Landry Angelo ADELAKOUN Romaric Jésukpégo